Attention ! Ceci n’est PAS une lecture… ! Je sais ce qu’est une « lecture jouée » pour avoir souvent sacrifié à l’exercice. Tous mes spectacles bâtis sur des textes qui n’étaient pas de moi : Aragon, Montcouquiol, Benedetto, Suarès ou Pagnol sont tous passés par cette étape. Et puis, Alain Cuny avec Claudel, Fabrice Luchini avec Céline, Jouvet et d’autres ; plus près de moi, Michel Galabru avec les lettres de Raimu, ont donné et donnent à ce genre ses titres de noblesse. Mais je vous le dis franchement, quelque valables que soient ces exceptions, la lecture, jouée ou non, reste pour moi le degré zéro du théâtre. Apprendre le texte m’en paraît être le degré un, le mettre en scène le degré deux, et le jouer, — sauf qu’attention : le BIEN jouer ! — le degré trois. Mais ça… c’est une autre affaire ! Au sujet de laquelle on ne peut, hélas, faire aucune promesse, ni donner de garantie. Juste en émettre l’espoir. Et s’y employer avec le plus de force, de patience et d’acharnement possibles. Ceci n’a rien à voir, je le précise, avec un choix qui serait moral ou professionnel. Non : c’est un choix artistique. Apprendre le texte « par cœur » comme on dit, c’est choisir de le pénétrer plutôt que de le survoler, l’explorer plutôt que de se contenter de le visiter ou de « se laisser traverser » par lui, comme le veut une certaine mode. C’est s’en imprégner enfin, en jouir, en souffrir, bref se l’approprier. Pour avoir une chance, une seule petite, de pouvoir un jour l’incarner comme si on l’avait écrit. Jouer les Lettres de mon moulin comme si c’était moi qui les avais pensées, imaginées. Comme si je m’en étais souvenu. Comme si je les avais vécues.
Je ne vais pas essayer de me lancer dans de grandes théories littéraires ou théâtrales, – encore moins politiques…- pour m’expliquer ou me justifier sur le choix de monter Alphonse Daudet plutôt que tel auteur ou que telle autre, puisqu’en définitive la seule chose qui m’ait vraiment motivé, c’est l’envie de m’amuser et d’amuser les autres, petits et grands. Et si possible, de les toucher. À part une autre, plus particulière et personnelle : après l’Adieu à Ferdinand, je savais qu’un vide se ferait sentir et qu’il me faudrait quelque chose de fort pour ne pas y sombrer. Une chose qui me ramène à l’enfance, la mienne comme celle de tout le monde. L’enfance de l’art aussi. Voilà, juste ça : des histoires, des paysages, des personnages, des accents. Et un pays. Le mien : la Provence.
PS, le 12 juin 2021 : Les évènements de la saison 20/21 m’obligent à compléter ce texte qui, pour autant, reste pour moi tout aussi valable et d’actualité que l’an dernier. Après leur création en Avignon dans le cadre d’un Festival quasiment interdit — quelle merveille ! On était plus que deux : Serge Valetti et moi, lui au Palais des Papes pour cette « lecture jouée » (justement…) de sa formidable adaptation des Cavaliers d’Aristophane, Les Marseillais, que nous y avons donnée à l’initiative des « scènes d’Avignon », en compagnie de l’ami Bruno Raffaëlli, Ariane Ascaride, Serge Barbuscia, Anthéa Sonio et autres artistes, et moi à la Condition des soies avec les deux parties de ces Lettres de mon moulin que j’ai pu jouer ensuite en tournée tout l’été et l’automne jusqu’ à ce funeste jour du moins d’octobre où tout s’est arrêté. On a bien cru ce coup-ci que ça ne reprendrait jamais. Et puis… voilà. Il y aurait trop de choses à dire et ce n’est pas l’endroit pour ça. Juste que là, on a eu chaud. Vraiment très chaud. Peut-être faut-il parfois perdre certaines choses comme certaines personnes pour mesurer vraiment l’importance qu’elles ont dans nos vies. Et que sans elles, cette vie n’aurait plus beaucoup de sens ni d’intérêt. En fait, on est con. Oui, mais… contents !
Alors, à bientôt ! À la Condition des Soies.
Philippe Caubère le 22 juillet 2020
Ce spectacle est dédié à ma fille Théodora.